Le comité Éthique en Commun INRAE-Cirad-Ifremer-IRD a publié ce 29 juin un avis sur l’exploration, l’exploitation et la préservation des milieux inconnus et très faiblement anthropisés, qui s’appuie sur le cas des grands fonds marins. Il souligne la nécessité de rassembler tous les acteurs concernés, des instituts de recherche aux industriels et citoyens, pour chaque programme de recherche sur les grands fonds marins afin de définir ensemble les « enjeux de la connaissance » portés par chacun. Le Comité insiste sur l'importance de créer un statut juridique ferme pour protéger ces milieux.

L’exploration des grands fonds marins soulève une interrogation fondamentale sur la valeur de la connaissance. L’avis insiste sur l’importance de distinguer la valeur intrinsèque de la connaissance et les conséquences de son acquisition, et d’inciter les parties prenantes d’un projet de recherche sur les grands fonds marins à décider ensemble de l’intérêt de poursuivre ou non. Les délibérations au sein du Comité sur cette question ont mis en évidence les limites de l’approche traditionnelle bénéfices/risques.

« L’approche bénéfices/risques se contente de développer la culture d’impact, c’est-à-dire se demander quels impacts a la recherche sur le milieu. Cependant, elle ne prend pas en compte tous les enjeux de l’exploitation des fonds marins » déclare Bernadette Bensaude Vincent, ex-vice-présidente du comité Éthique en Commun.

Le Comité a développé ainsi la notion d’ « enjeux de la connaissance », portés par chacun des acteurs (organismes de recherche, fabricants d’instruments, bailleurs de fonds, citoyens, industriels...) impliqués ou concernés par la recherche. Ces enjeux peuvent être multiples et variés selon l’acteur concerné. Veut-on améliorer la compréhension du fonctionnement de l’océan pour le protéger, pour l’utiliser, pour l’exploiter, pour légiférer… ? Il recommande donc d’expliciter en toute transparence ces enjeux, d’en dresser la liste avant le lancement d’un programme de recherche et au fil de son avancée. Le Comité encourage les instituts de recherche à établir ensemble une échelle commune des valeurs afin de définir les priorités qui doivent guider les décisions de recherche, tout en veillant à ce que la préservation de l’habitabilité de la Terre à long terme, la conservation de la biodiversité et de la géodiversité, ainsi que la santé humaine, restent des priorités absolues.

Anticiper les dérives grâce à un statut juridique strict

Le Comité souligne l'impératif d'un statut juridique robuste pour la préservation des grands fonds marins. Les discussions du Comité ont mis en lumière les limites du statut de « patrimoine commun de l’humanité », qui ne génère aucune obligation juridique contraignante ce qui limite son efficacité en matière de protection. Plusieurs pays ont accordé le statut de « personnalité juridique » à des entités naturelles comme des fleuves, des forêts afin qu’ils aient des droits et puissent être défendus comme les humains. Une telle approche permettrait de ne plus considérer les grands fonds marins comme des ressources exploitables et de reconnaitre leur valeur intrinsèque et morale. 

« Il y a un siècle, personne ne se posait la question du statut juridique de l’Everest, et aujourd’hui des caravanes d’alpinistes gravissent ce sommet pour un prix exorbitant en laissant des tonnes de déchets dans leur sillage. La valeur des intérêts financiers a pris le pas sur la valeur intrinsèque de la préservation de l’Everest. Nous avons aujourd’hui l’occasion de faire mieux pour les grands fonds marins, mais pour cela, nous devons poser des limites juridiques strictes dès maintenant », déclare Michel Badré, ex-président du comité Éthique en Commun.

Illustration : Ifremer (1998). Campagne PICO - Site hydrothermal. Ifremer. https://image.ifremer.fr/data/00805/91659/ | Crédit : Ifremer