[Événement - 9 et 10 novembre 2022] Enjeux éthiques des sciences et recherches participatives
L'éthique dans les sciences et recherches participatives
Pourquoi un colloque sur l'éthique des sciences et recherches participatives ?
Il fut peut-être un temps où les scientifiques œuvraient à décrire et expliquer le monde, tout en revendiquant si ce n'est une indépendance, au moins une distanciation vis-à-vis de la marche de celui-ci. Les relations entre Science et Société ont évolué au fil du temps. Aujourd'hui, il ne s'agit plus (si tant est que cela ait pu être le cas) de mener uniquement une recherche fondamentale, désintéressée, et déconnectée de toute considération sociale, économique, environnementale ou politique. Certains chercheurs revendiquent même la pratique d’une recherche impliquée, en grande partie orientée par le contexte socio-politique. A ce titre, une part significative, et croissante, de la recherche scientifique est réalisée pour, avec, voire par la société, au travers de démarches dites participatives.
Les sciences participatives peuvent se définir comme des "formes de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non-scientifiques-professionnels, qu’il s’agisse d’individus ou de groupes, participent de façon active et délibérée." (Houiller & Merilhou Goudard 2016). Cette définition englobe une grande diversité de pratiques qui diffèrent notamment par leurs objectifs ultimes, et par le degré d'implication et de responsabilités des acteurs professionnels de la recherche et celle des "non-chercheurs professionnels" (Mezière et coll. 2021) pour lesquels il est difficile de trouver une terminologie unique qui soit tout à fait satisfaisante tant la diversité des types de participants est grande.
La production professionnelle de connaissances scientifiques répond à un certain nombre d’impératifs moraux (supposément) partagés par la communauté scientifique qui reconnaît essentiellement trois idéaux : l’autonomie, l’impartialité, la neutralité. La science est autonome en ce sens que les stratégies de recherche et choix méthodologiques sont indépendants de considérations socio-politiques. Les énoncés qu’elle produit sont établis sur la base d’un matérialisme méthodologique : ils sont transparents, vérifiables, et ont une cohérence interne indépendante du contexte socio-politique de leur développement. En ce sens la science est impartiale, ce qui implique sa neutralité : les énoncés scientifiques ne véhiculent aucune valeur morale; ils ne sont pas prescripteurs (Lecointre 2018, Coutellec 2015).
Les recherches participatives se font par définition avec, par et pour la société. De fait, l’ouverture de la production de connaissances scientifiques au-delà des cercles professionnels historiques invite à poser la question de savoir si ces idéaux (autonomie, impartialité, neutralité) sont atteignables, ou même souhaitables (Coutellec 2015).
En effet, les objets de la recherche participative ne sont en effet plus uniquement définis par les seuls scientifiques. Les processus de recherche s’adaptent également à la participation d’un public non-professionnel, qu’il s’agisse de la reconnaissance des savoirs profanes, des outils de collecte de données ou des modes de diffusion des connaissances. Ces deux transformations remettent en question l’idéal d’autonomie de la science. Malgré les garde-fous déployés pour garantir la fiabilité des données acquises ou analysées par un public hétérogène et l’intégrité des savoirs produits à partir de ces données, la participation d’un public non professionnel renforce le risque d’une orientation idéologique de la science. Si la recherche n’est pas autonome et que certaines sensibilités sont plus représentées que d’autres dans ses acteurs, la science produite peut-elle être impartiale ? S’en suit inévitablement la question de la neutralité des savoirs produits de manière participative : quels sont ceux qui sont diffusés, retenus et utilisés ? Par qui et dans quel but ?
Les sciences et recherches participatives orientent la nature même des savoirs qui sont produits et de l’utilisation qui pourrait en être faite. Elles invitent les individus — professionnels de la recherche ou non — et les institutions à poser un ensemble de questions au cœur de la relation science-société. A quoi est-ce que je m’engage et m’expose au travers de ma participation ? Quelles sont mes responsabilités vis-à-vis de mes partenaires et vis-à-vis des connaissances que je contribue à produire ? Quels impacts ces connaissances sont-elles susceptibles de produire, sur qui, sur quoi ? A quelles formes de reconnaissance suis-je en droit de m’attendre ? Il est impossible d'apporter une réponse a priori à ces interrogations. Le cadre juridique aide mais n’y suffit pas. La sociologie et la philosophie doivent être convoquées pour apporter un éclairage pertinent sur ces questions, et ainsi guider les individus et les institutions dans leur positionnement vis-à-vis des sciences participatives et de leur potentiel transformatif, du travail du chercheur et de la relation science-société.
Le colloque s'inscrit dans la continuité de la réflexion initiée en novembre 2021 par un groupe de 40 scientifiques réunis lors d'ateliers participatifs organisés dans le cadre d'une école-chercheurs dédiée aux sciences et recherches participatives. L'objectif est double : 1/ amener les participants à échanger sur les enjeux éthiques posés par les SRP au travers de témoignages et d'ateliers et 2/ apporter un éclairage théorique sur la spécificité des SRP en termes d'objets, de démarches, de résultats et de diffusion des connaissances issues de la recherche. Le colloque est ouvert à tous les chercheurs praticiens des SRP, quelle que soit leur discipline.
Pour consulter le programme complet : Programme
Pour vous inscrire : Enjeux éthiques des sciences et recherches participatives
Illustration : Rencontre entre le public et les chercheurs sur le stand INRAE au salon international de l'agriculture, 2020 | Crédit : INRAE - Bertrand Nicolas